FLe nouveau livre de lorian Illies est plein de commérages. Saviez-vous que Simone de Beauvoir a levé Jean-Paul Sartre lors de leur premier rendez-vous, demandant à sa sœur d’aller au café et de présenter ses excuses à quelqu’un qui était petit, à lunettes et « très laid » ? Ou que Lion et Marta Feuchtwanger avaient un très mariage ouvert? Ou que F. Scott Fitzgerald a montré son pénis à Ernest Hemingway dans un bar parisien parce que Zelda l’avait dit trop petit ? Ce sont les types de friandises auxquelles les lecteurs ont droit dans L’amour au temps de la haine. Chroniqueur et rédacteur en chef de longue date en Allemagne, Illies est surtout connu des lecteurs anglophones pour 1913 : L’année avant la tempêtequi mêlait des instantanés de la vie de divers membres de la scène intellectuelle d’Europe (occidentale) au cours de cette dernière année d’avant-guerre.

Avec L’amour au temps de la haine, Illies applique le style fragmentaire de cette œuvre – et le même ton perplexe et ironique du chroniqueur – à une période beaucoup plus longue (1929-1939) et à une thématique plus claire : sexe et romance. S’ouvrant sur Jean-Paul Sartre attendant, en vain, que Simone de Beauvoir se présente à leur premier rendez-vous, le livre présente une série habilement arrangée de miniatures en prose, dont chacune est racontée dans un style immersif et romanesque et parfois accompagnée de notes éditoriales. commentaire. Certains des près de 50 personnages du livre apparaissent fréquemment – la famille Mann, Anaïs Nin, Pablo Picasso – tandis que d’autres font quelques apparitions. En parcourant la vie amoureuse privée (et pas si privée) de ces personnages, Illies cite librement des journaux intimes, des lettres et des mémoires. Il est par ailleurs léger sur la citation, préférant plutôt évoquer des scènes et des anecdotes lourdement chargées d’intrigue, de pathos, ou les deux. Certains de ces fragments réussissent pour des raisons littéraires, comme lorsque Picasso peint sa femme, furieuse contre lui pour son infidélité :

Ainsi, le 5 mai 1929, Picasso accepte de peindre à nouveau Olga. Alors que poser pour un portrait était autrefois un jeu entre eux deux, un match de catch, une épreuve de force érotique, c’est désormais une guerre froide. Aucun d’eux ne dit un mot. Picasso la regarde et peint. Dans sa nudité, elle ne se sent plus admirée mais exposée. Elle est assise sur sa chaise, gelée.

Au fur et à mesure qu’Illies se déplace dans le temps, un large éventail de fils narratifs différents sont ramassés, jetés et entrelacés. Nous voyons les deux tentatives infructueuses de Ludwig Wittgenstein pour surmonter son refoulement et initier une histoire d’amour ; nous rencontrons la « nouvelle femme » du Berlin des années 1920 à travers les escapades sexuelles et sociales de la it-girl de cette génération, Ruth Landshoff. Nous en apprenons davantage sur les romances homosexuelles, hétérosexuelles et bisexuelles et nous voyons des auteurs célèbres comme Kurt Tucholsky à travers les yeux de leurs anciens amants maltraités.

Le livre comporte trois sections : « Avant », « 1933 » et « Après ». Avec l’arrivée au pouvoir des nazis en 1933, le ton du livre s’assombrit, alors que l’apparition du fascisme oblige de plus en plus ses différents protagonistes – et leurs diverses constellations amoureuses – à prendre des décisions difficiles sur le conformisme, la résistance et l’émigration. Pourtant, «l’amour» et le «temps de haine» dans le titre d’Illies n’interagissent de manière significative nulle part dans le livre au-delà d’une atmosphère générale de malheur imminent et de quelques révélations sournoises sur la prédilection de Leni Riefenstahl pour les jeunes beaux travaillant sur ses plateaux de tournage. De manière révélatrice, la prise de pouvoir nazie et le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale sont souvent décrits en termes de temps : à un moment donné, « les nuages ​​du fascisme se rassemblent et commencent à obscurcir le ciel ». L’incapacité du livre à relier ses anecdotes individuelles de romance de célébrités à l’image sociale et politique plus large devient extrêmement claire dans l’un des moments les plus étranges du livre, sur Joseph Staline : « L’humiliation qu’il ressent après le suicide de sa femme détruit les derniers vestiges de l’humanité en lui ». . A partir du 9 novembre 1932, il considère tout le monde comme un conspirateur à éradiquer. Ce qui est une façon de rendre compte de la Grande Terreur, mais pas une qui retient beaucoup d’eau analytique.

L’amour au temps de la haine manque généralement de rigueur et de perspicacité. L’approche hautement romanesque d’Illies a ses avantages narratifs, mais elle brouille également la frontière entre ce qui est imaginé avec une licence artistique – le monologue intérieur d’un personnage ou le temps qu’il fait un certain jour – et ce qui est connu. Parfois, la spéculation est présentée avec la certitude des faits : l’incendie du Reichstag étant une opération sous faux pavillon, par exemple, ou l’homosexualité de Dietrich Bonhoeffer. Le livre semble être tombé entre les genres de l’histoire pop, du « roman factuel » (à la Benjamín Labatut) et de la fiction historique. Illies, malgré toutes ses indiscrétions, semble avoir découvert peu de choses sur ses sujets qui soient nouvelles ou surprenantes. Les scoops les plus juteux semblent être que Bertolt Brecht et Pablo Picasso étaient de mauvais maris ; que Jean-Paul Sartre était jaloux et vaniteux ; que Thomas Mann était un père glacial et antipathique ; et que parfois les grands penseurs ne sont pas toujours à la hauteur de leurs idées dans la vraie vie. Eh bien!

La narration ironique d’Illies repose, tout au long, sur des interprétations psychologiques fortement clichées des deux personnages individuels – que Thomas Mann était cruel envers son fils, Klaus, parce qu’il enviait à Klaus d’être ouvertement gay – et de l’époque dans son ensemble : « Personne en 1929 n’a encore investi aucun espoir dans l’avenir, et personne ne souhaite qu’on lui rappelle le passé », écrit-il au début d’une section. « C’est pourquoi tout le monde est si imprudemment absorbé par le présent. » Elle aussi, comme la plupart des commérages, méprise ses sujets : l’une des constructions préférées d’Illies est de noter qu’une personne en particulier « ne sait pas encore » que la guerre imminente aura telle ou telle conséquence – une invitation pour les lecteurs à ironiser des lettrés désorientés tout en se complaisant dans la condescendance facile du présent.

En fin de compte, l’incapacité du livre à transcender les commérages représente une occasion manquée. La vie amoureuse des élites intellectuelles d’Europe occidentale de l’entre-deux-guerres ne doit pas être un sujet superficiel, notamment parce que nombre de ces personnalités se consacraient elles-mêmes à l’exploration de la romance, de la sexualité, de l’affection et de la relation épineuse entre engagement et liberté. Pourtant, dans le récit d’Illies, la substance réelle de l’art et de la pensée de ces personnages est presque entièrement absente. C’est particulièrement exaspérant dans le cas de Simone de Beauvoir, qui apparaît dans ce livre plus comme une petite amie souffrante que comme l’une des philosophes de la sexualité et de l’amour les plus influentes du siècle. sous-titre allemand d’Illies, Chronik eines Gefühls (« Chronique d’un sentiment »), est donc à la fois trompeuse et frustrante. Ni une histoire-des-émotions à la manière de Barbara Rosenwein, ni une contribution à ce que les Allemands appellent Begriffsgeschichte – l’histoire des concepts – le livre ne donne aucune idée au lecteur de ce que signifient ces chiffres lorsqu’ils disent ou ressentent « l’amour ». Le livre ne donne aucun aperçu de ce qui devrait être sa question centrale : pourquoi – intellectuellement ou socialement – ​​cette génération d’élites culturelles s’est-elle trouvée si attirée à la fois par le mariage et par la liberté sexuelle ? En l’absence d’une telle analyse, les lecteurs se retrouvent avec un film-montage d’anecdotes superficielles sur un groupe de personnes spécifique – et, bien sûr, spectaculairement non généralisable.

Le wunderkammer wisecracking d’Illies ne prend au sérieux ni la créativité du XXe siècle ni la montée du fascisme. Au lieu de cela, les deux ne servent qu’à ajouter du glamour et de la gravité à une entreprise essentiellement bavarde. Le résultat est assez agréable à lire, et plutôt savamment composé. Mais les pages de la société le sont aussi. Pourtant, ce livre a aussi la vertu de potins, dans la mesure où ses anecdotes coquines pourraient susciter la curiosité et inciter les lecteurs anglophones à approfondir la vie et l’œuvre de personnalités telles que Dietrich Bonhoeffer, Mascha Kaléko ou Erich Kästner.

L’amour au temps de la haine : art et passion à l’ombre de la guerre, 1929-1939
Florian Illies, traduit par Simon Paré
Profil, 336 pages, 20 £
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Alexandre Wells est un écrivain basé à Berlin.